Chapitre V
La Fuite.
Quelques jours plus tard, grand mère était à nouveau devant son raccommodage les lunettes sur le nez…
« Tu peux venir, » me dit-elle…. Et je m’assis près d’elle.
« Ce fut une très longue route. Mes petits, âgés de quatre et six ans à peine, marchaient
vaillamment dans la boue, tous les soirs nous étions hébergées par des paysans qui ne nous
posaient aucune question,
Je parlais couramment Ukrainien mais ils n’étaient certainement pas dupes sur nos origines…
En ce temps là rouge ou blanc s’entraidaient nous dormions dans la paille, la plupart du temps, près de l’écurie, les bêtes dégageaient une chaleur qui nous permettait de survivre au
froid…
Allongée près des enfants je pensais à cette jeune lingère que j’avais renvoyée parce qu’elle avait mal repassé ma taie d’oreiller… Quelle inconscience ! Quelle injustice de ma part…Si j’avais su ?
Mon mari me répétait « tout est de notre faute »… il avait certainement raison…Il se sentait coupable de la révolution.
Je ne m’étais jamais intéressée à la politique, c’était une affaire d’homme …
Dieu sait s’ils en parlaient à tort et à travers… à mon avis ils n’ont jamais rien résolu !
Nous devions nous rapprocher de la Pologne tout en traversant l’Ukraine. Micha déterminait les étapes que nous allions suivre… moi je m’occupais de l’intendance, j’allais chercher de la nourriture et une grange pour la nuit…
Un jour, j’aperçus la silhouette familière d’une femme pleurant sur le bord du chemin entourée de ses deux fils : « Oh, c’est toi Maria Pavlovna ? »
« Génia » s’écria-t-elle. C’était une amie de Saint Petersbourg.
« Que fais-tu là ? » lui demandais-je.
« Mon mari vient d’être arrêté, ils l’ont emmené dans cette baraque… je ne sais pas ce que je dois faire ? »
« Parles-tu Ukrainien ? »
« Non ! »
A ce moment Micha déboucha de derrière une isba et s’approcha de nous… Je lui expliquais la situation.
Micha se taisait, Maria Pavlovna sanglotait désespérée … que faire ?
« Attendez-moi là … » m’écriais-je en courant vers la baraque en bois.
J’entendis le cri étouffé de mon mari pendant que je rentrai dans une pièce surchauffée et sombre.
« Que veux-tu camarade ? »
« Mon homme ! » Criais-je en frappant sur ta table … là j’ai joué la plus belle scène de ma vie… en Ukrainien bien sur ! J’ai menacé, supplié, je ne lui ai pas laissé le temps de placer un seul mot. Jusqu’à ce qu’excédé il me cria :
« Prends le : ton homme et que je ne vous revois plus jamais ! »
Je pris le mari de mon amie par le bras et nous sortîmes au plus vite… Ce sauvetage était un miracle.
Nous nous sommes séparés rapidement pour ne pas nous faire remarquer… Nos routes se sont croisées quelques années plus tard à Paris …et nous sommes restées amies jusqu’à ce jour.
Micha était effondré, il fallait que je reprenne ma place d’épouse et de mère et lui de chef de famille que je lui avait usurpée un court instant… les hommes sont ainsi fait… tu verras ma petite fille, il faut toujours qu’ils pensent qu’ils sont les plus forts sinon ils te rendent la vie impossible !
Bientôt nous allions enfin arriver chez ma grand-mère, dernière étape avant la frontière. Je rêvais de pouvoir mettre ma tête sur son épaule pleurer comme une enfant, être enfin consolée de la souffrance et se reposer de la fatigue endurées depuis des semaines…
Voici le chemin qui nous menait vers elle, un véritable bourbier nos pieds avaient de la peine à se décoller de la boue …un pas, encore un pas et là bas une isba entourée d’un potager et deux silhouettes, une jeune fille et l’autre tellement âgée, courbée par les ans. J’ai eu du mal a la reconnaître. Pourtant c’était bien elle, mon cœur me le disait… je me suis décollée dans un cri : « Babouchka ! » et je me suis jetée dans ses bras, ce n’était plus pour m’y blottir mais pour la soutenir, avec toutes les forces de mon amour. »
Un grand silence que je n’osais interrompre…puis elle repris son récit.
« Babouchka avait recueilli une petite orpheline elles s’aidaient mutuellement. Ce fut notre première vraie halte depuis Bobrouïsk. Enfin nous avons pu nous laver, nous reposer, soigner nos pieds, boire du thé bien fort et bien chaud …
Inquiet Micha comptait les jours, je savais qu’il fallait poursuivre notre chemin … le salut était en Pologne..
Un soir Babouchka mis sa main sur le bras de mon mari, « Ne t’inquiète pas, » lui dit elle, « je connais un jeune garçon va vous aider à passer la frontière. J’ai confiance en lui puisse que je lui confie, ainsi qu’à toi, tout ce qui reste de ma famille. Il sera prêt dans deux jours. »
Nous sommes partis à l’aube du deuxième jour.
J’ai quitté ma patrie, j’ai pris sur mon dos toutes les responsabilités à venir.
Il y avait les enfants, mon mari désemparé avec ses grands yeux bleus tristes, le regard égaré et il y avait ton Papa qui était encore là bas quelque part en Russie ou peut être était-il passé à l’étranger avec son bataillon ? J’étais sur de le retrouver.
Je pris mon courage à deux mains… Il fallait être forte pour eux tous… Nous allions nous en sortir !
Encore un petit effort… »
Jeu 12 Juil - 9:05
