Les Volcans de Larmes
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L'essentiel de la douleur humaine
 
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 Coup de foudre

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AuteurMessage
Lilas




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MessageSujet: Coup de foudre   Coup de foudre Icon_minitimeMer 2 Mar - 7:43





L'air était lourd , ce dimanche de juillet 1825.

Sous la varangue de la grande maison, au bout de l'allée bordée d'arbres du voyageur, qui ondulaient dans le vent léger, mêlés de flamboyants aux couleurs éclatantes et de palmiers, Apolline s'ennuyait. Une moue se dessinait sur sa jolie bouche aux lèvres charnues, tandis que ses yeux verts, perdus dans le vague, ne voyaient rien des splendeurs que la nature lui offrait. Même la beauté de l'océan ne réussissait pas à la sortir de sa rêverie. Son livre posé sur les genoux, elle rêvait. A seize ans, c'était une jolie blonde, aux attaches fines et à la silhouette gracile. Bientôt, elle ferait son entrée dans la bonne société pour rencontrer, sans doute, son futur époux. Elle y songeait parfois, quand elle chuchotait dans le noir avec sa meilleure amie, Adélaïde, au pensionnat des oiseaux où elle passait le plus clair de son temps. Elles riaient sous cape, toutes les deux, en frissonnant tout de même, car il se racontait tant de choses sur le mariage, que leur imagination voyageait au grand galop.

Pour l'heure, il était temps d'aller à la messe à Saint-Pierre, à l'église Saint-Paul. Ses parents s'étant absentés pour affaires, elle irait donc avec Marie, sa nénée, celle qui l'avait élevée. Marie était noire, très belle. Sa peau d'ébène parlait de la lointaine et mystérieuse Afrique. Ses bras avaient servi si souvent de refuge à Apolline, que celle-ci  lui portait une grande affection. Marie avait trois enfants, qu'elle voyait très peu, car elle passait le plus clair de son temps chez les propriétaires, parents d'Apolline, à servir et à travailler à la grande habitation. Apolline l'entendait souvent soupirer. Elle savait que Marie pensait à ses petits. Malgré leur jeune âge, ils étaient déjà employés à la récolte de la canne à sucre, et Marie craignait qu'ils ne soient vendus à tout moment.

Marie apparut, avec son ombrelle et de quoi la recoiffer.  
— Il est grand temps d'y aller, Mademoiselle Apolline. Si vous ratez la messe, vos parents ne vont pas être contents et les langues vont aller bon train.
— Oui, Marie, allons-y, dit Apolline en se levant précipitamment.
La calèche l'attendait au pied du perron. Apolline remarqua tout de suite le cocher. C'était un grand garçon noir, à l'air grave et au physique athlétique, qui se redressa immédiatement à son arrivée. Il tourna la tête vers Apolline et la regarda fièrement, droit dans les yeux. Et tout à coup, ce fut comme si le monde s'était figé. Apolline rougit et baissa le regard. Inexplicablement, elle se sentait troublée. Ce regard, planté dans le sien la bouleversait. Elle s'installa dans la calèche, mais n'eut presque pas la force de parler avec Marie, tant elle était sous le choc.  

—Marie, chuchota-elle tremblante, qui est-ce? Je ne le connais pas.
— C'est Cimendef. Votre père l'a acheté à la dernière vente.  
Apolline se tut, ne comprenant pas ce qu'il se passait en elle. Elle secoua la tête, comme si elle s'éveillait d'un songe, le souffle coupé.
Allons, ce n'est pas possible, se dit-elle. Il est noir, c'est un esclave. Pourtant, son cœur battait à tout rompre. Elle ne pouvait détacher son regard de la silhouette qui conduisait les chevaux, de ce dos musculeux et de ces puissantes épaules. Mais rien des principes qu'on lui avait inculqués depuis l'enfance ne résista à cette vague qui l'emportait. Même Marie s'aperçu que quelque chose n'allait pas.
— Mademoiselle Apolline, que vous arrive-t-il?
— Rien, Marie, rien...Sans doute la chaleur! balbutia-t-elle.
Le voyage se poursuivit en silence.  
Apolline vécu la messe dans une sorte de stupeur, saluant machinalement ses connaissances. Sa tante, qu'elle croisa au pieds des colonnes devant l'église, l'invita à déjeuner, la sachant seule. Mais du repas, elle ne garda aucun souvenir. Elle n'arrivait pas à détacher ses pensées de Cimendsef.  
A l'heure de rentrer, Apolline se sentit à nouveau très troublée. Cimendsef l'attendait, impassible. Apolline crut voir dans son regard sombre une lueur moqueuse. Elle n'en aurait pas juré, mais pourtant...
Les jours suivants, toutes les pensées d'Apolline furent tournées vers le grand et beau garçon. Comme elle aurait voulu le revoir! Son corps lui chantait un manque, son cœur ne savait qu'attendre. Un feu lui brûlait le corps. Rien n'allait, rien n'irait, tant qu'elle ne l'aurait pas revu. Elle avait questionné Marie, pour savoir où il travaillait, dans l'espoir de le croiser, mais Marie n'avait pu ou n'avait pas voulu lui répondre. Apolline eut beau la prier, rien n'y fit.  

Dans les jours qui suivirent, Cimendef demeura invisible, comme s'il n'avait jamais existé et Apolline en éprouva une souffrance aigüe, physique qui l'occupait toute entière, l'empêchant de penser, de manger, de vivre.



Esclaves


Ce matin-là, Apolline décida de monter Bergame, son cheval. Elle se dit que cela lui changerait les idées. L'odeur particulière de la mélasse flottait dans l'air, venant de la sucrerie voisine et donnant à ce moment un goût indéfinissable de gourmandise. Apolline prit une profonde inspiration, en enfant de l'île de La Réunion. Cette odeur l'attachait à cette terre, lui faisait ressentir son appartenance à cette société, faite du mélange étrange de la dureté du code noir et de la douceur de vivre dans ce paradis. Elle sentait au fond d'elle-même, tout ce que cette situation avait d'injuste, malgré les principes selon lesquels elle avait été éduquée. Toute sa jeune existence avait été entourée par la chaleur de sa nénée, Marie,  et elle se rappelait encore quand, petite, elle jouait avec des  enfants de couleur, en cachette de ses parents. Bien sûr, en grandissant, elle avait arrêté ces jeux, et sa vie, depuis, s'était résumée aux hauts murs du pensionnat, mais elle en gardait un doux parfum d'insouciance et d'amitié, dont elle ne s'était jamais défait.  

La campagne de récolte avait déjà commencé dans les grands champs de canne, jouxtant l'habitation. Les contremaîtres veillaient sans concessions et sans pitié au bon déroulement des opérations. Ils étaient tous là,  coupeurs, amarreuses, les enfants et les vieillards, du soir au matin, jour après jour. Un ballet de charriots chargés de paquets gagnaient la sucrerie, dans le bruit de ferraille des roues, cahotant sur le chemin qui traversait les champs de canne en direction du Tampon, sur la route de Bassin-Plat.

Apolline sortit de la propriété au petit trop. Son esprit vagabondait, son corps épousant avec grâce le rythme de Bergame. Elle croisait les chariots sans trop y faire attention, quand des cris attirèrent son attention. Verdier, le contremaître, un blanc aux traits taillés à la serpe, un cigarillos toujours planté dans la bouche, menaçait un esclave de son fouet. Apolline, s'approchant, vit des traces rouge vif sur la chemise de celui qui était l'objet de sa vindicte. Il ne faisait aucun doute que Verdier avait déjà fait usage de son fouet. Son sang ne fit qu'un tour et, sans réfléchir, alors que le contremaître levait le bras pour infliger un nouveau coup, elle interposa Bergame entre Verdier et l'esclave.
— Arrêtez immédiatement, Verdier! Je ne supporterai pas cela!
— Mais, Mademoiselle, que faites-vous? Il traîne et baille aux corneilles! Je ne fais que mon devoir!
Verdier était bien connu pour sa brutalité, et il courait même des bruits à son sujet, à propos de son attitude avec les femmes noires, mais Apolline ne savait pas ce que cela signifiait, sinon que les adultes faisaient des mines bizarres lorsqu'ils en parlaient. Elle le considéra froidement et de toute sa hauteur.
— Je vous ordonne de cesser immédiatement!...Disparaissez! Ce n'est pas en le blessant que vous allez le faire travailler plus vite!
Verdier, furieux, fit volte-face et partit en maugréant. Apolline sut tout de suite qu'elle venait de se faire un ennemi, mais sa colère avait pris le pas sur les convenances. Elle descendit de cheval et considéra l'esclave. Son cœur s'arrêta de battre, l'espace d'un instant.  Cimendef se tenait devant elle, le visage crispé par la douleur.
— Montez, dit-elle, il faut soigner cela, avant que cela ne s'infecte!
Il sembla hésiter un instant, puis brusquement, il sauta en croupe. Délicatement, il passa ses bras autour de la taille d'Apolline, sachant que tout cela pouvait tout simplement lui coûter la vie, si son propriétaire venait à le savoir.
Apolline frissonna malgré la chaleur. Elle reprit son trot vers les cases. Quand ils arrivèrent, tout le monde étant aux champs, le quartier des esclaves était vide.  
— Où est ta case? lui dit-elle, d'une petite voix
— C'est celle du bout.
Ils s'arrêtèrent devant la case. Il descendit de cheval, puis, après une hésitation, lui tendit les bras pour l'aider. Apolline se laissa déposer par terre. Elle trébucha et se retrouva tout contre lui, haletante, rougissante et prête à défaillir. Il la serra contre lui, leurs regards soudés l'un à l'autre, leurs lèvres se frôlant. La jeunesse et le désir balayèrent en un éclair tous les dangers encourus. Il la prit par la main et la fit entrer dans la case. Il  faisait chaud, sombre, mais Apolline ne prit pas le temps de regarder la paillasse qui occupait  la misérable pièce. Leurs lèvres se joignirent et Apolline n'exista plus que par ses sensations, celles que provoquait Cimendef . Il se perdit sur sa peau, dans ses douceurs, dévorant son cou de baisers,  jusqu'à l'ultime instant, qu'ils partagèrent ensemble.  

Apaisés, ils reposaient l'un à côté de l'autre. Cimendef se redressa sur un coude et la regardant intensément, il lui murmura un je t'aime.
— Tu es ma reine, Apolline, lui chuchota-t-il
— Tu es mon roi, lui répondit-elle en souriant
— Sais-tu ce que signifie mon nom?  
— Non...Dis-moi...
— Il signifie "Celui qui ne courbe pas le dos", dans la langue de ma mère, qui était reine.
— Alors ne le courbe jamais, et sois fier et libre, toujours.
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