CHAPITRE VIII
La France
La France nous proposa l’asile à conditions que nous acceptions le travail « noir » et renoncions à toutes prétentions afférentes à nos titres de noblesse… le passeport Nansen fut crée. Ce fut le passeport des apatrides .ni soviétique, ni russe nous étions devenus des sans patrie… par contre la France offrait une bourse d’étude à nos enfants. Nous acceptâmes ces conditions. Micha partis le premier pour trouver du travail et un lieu où vivre. Ton père devait nous protéger et nous soutenir financièrement.
Micha arriva à Paris, gare du Nord. Ils étaient un petit groupe de russes, que faire ? Où aller ? Personne ne les attendait. Le premier travail qu’ils trouvèrent, fut tout simplement de porter les valises et les malles des voyageurs de la gare du Nord.
La première chambre ? dans un petit hôtel aux abords de la même gare.
C’est comme ça que ton grand père a commencé sa vie en France, dés que nous avons eu assez d’argent nous sommes venus le rejoindre. L’hôtel n’acceptait que deux personnes par chambre les enfants passaient à quatre pattes devant le bureau …heureusement une grande solidarité s’installa entre nous.
C’est par des amis que nous avons eu notre premier appartement de deux pièces à Saint Cloud, et que ton père trouva un emploi dans une usine de chocolat, mieux rémunéré, qui lui permettait tout en surveillant les machines d’apprendre les rues de Paris par cœur car le travail de chauffeur de taxi
rapportait plus tout en laissant la liberté des horaires, cela convenait parfaitement à beaucoup de nos émigrés.
Ainsi ton papa devenu chauffeur de taxi, a pu avoir des activités annexes, écrire pour le journal russe de Paris, organiser des conférences sur l’histoire et la littérature russe.
Les petits sont devenus pensionnaires, moi je travaillais comme infirmière, quant à Micha il a du prendre plusieurs emplois avant de trouver la stabilité qu’il recherchait … Mais à quel prix !
Se mettant des courroies sur les épaules il tirait une charrette remplie de paquets et de livres pour les livrer dans Paris….
Tous les soirs je lui massais son dos douloureux, comme j’avais mal pour lui !
Il ne s’est jamais plaint.
Ton papa nous donnait la plus grande partie de ses gains pour nous permettre de vivre et d’élever les petits. Il nous a aidé jusqu’à la fin de leurs études.
Nous avons déménagé plusieurs fois jusqu’à ce que nous puissions louer ce grand appartement où nous vivons maintenant tous ensemble…
La France a recueilli 600.000 émigrés russes à Paris et 200.000 sur la côte d’Azur… Notre vie s’est organisée entre nous, sans nous mélanger aux français qui nous avaient pourtant accueillis … Nous remercions la France de nous avoir sauvés la vie.
Pourtant l’intégration n’était pas possible. Pourquoi ? je ne l’ai pas compris, nous parlions la langue, mais un fossé nous séparait.
Donc, nous sommes restées entre nous.
Nous avons construit nos églises dans des sous sol ou des garages… nous avions notre lycée, l’école du jeudi, le dispensaire et les vacances dans un camp de toile au Lavandou…
Les hommes continuaient à parler politique. Souvent ils se rassemblaient chez nous…Mais j’aimais mieux les dimanches quand nous jouions au bridge…(moi pas, car j’étais reléguée dans ma chambre.)
Une fois par mois il y avait un grand bal dans les salons d’un grand hôtel, je mettais une robe du soir, mes bijoux et nous nous retrouvions tous comme avant la révolution…. »
« Tu sais grand mère, j’adore aller au bal avec vous…
Mon grand père me prend dans ses bras et nous dansons la première danse toujours ensemble ! Après il m’allonge sur les manteaux où je m’endors. » m’écriai-je,
« Grand mère, grand mère je sais danser la valse, Diedou m’a appris ! Regarde ! »
Je me mis à tournoyer devant elle …
« Va, va vite jouer dans ta chambre ma petite fille, tu me donnes le tournis ! »
Jamais mon Diedou ne m’a renvoyée dans ma chambre. Pour lui je dansais, et nous chantions ensemble, j’inventais des spectacles et il m’écoutait. J’ai longtemps cru qu’il pouvait travailler et me voir en même temps.
Tous les soirs je m’endormais sur son divan en l’écoutant me lire les contes de
Pouchkine, ou la vie des Saints. Ensuite il me portait dans mon lit, me bordait doucement et repartait sur la pointe des pieds pendant que je me rendormais profondément..
A mon réveil il était parti travailler et ma vie se réglait sur celle de ma grand mère jusqu’au soir où invariablement je prenais possession de mon grand-père.
« Laisse donc ton grand père respirer, » disait Grand-mère… mais j’étais un vrai pot de colle.
Sans compter le samedi après midi qui m’était souvent réservé, nous allions en famille au musée du Louvre, moi perchée sur les épaules de mon Diédou, ou au zoo de Vincennes. Grand-mère aimait les singes et moi les grands fauves j’allais toujours les voir seule avec Grand-père….
C’est lui qui m’a appris à décorer le sapin de Noël, à peindre les œufs de Pâques. Il m’a montré comment poussent les légumes dans le potager et les fruits dans les vergers, il m’a appris à reconnaître les arbres et à aimer les oiseaux…C’est lui qui plus tard recouvrait mes livres et mes cahiers de classe.
à suivre...
Sam 14 Juil - 7:57
