Chapitre III
Bobrouïsk
Mes beaux parents nous avaient aménagé une belle maison ! Ce fut la surprise pour notre retour.
Michel fut élu député de la Douma de la région …
Ton oncle Georges est né…
A sa naissance lors d’un déjeuner familial, mon beau père me demanda : « Que veux-tu, ma fille en récompense pour ce merveilleux petit fils que tu nous as donné ? »
« - Une vache ! » lui ai-je répondu.
Michel pâlit… un silence de mauvaise augure plana au dessus de nous… et puis mon beau père éclata d’un rire homérique !
-« Tu auras ta vache »
« -Puis-je aussi avoir le petit hangar derrière la maison ? »
-« Et quoi encore ? »
« Pietia, le jeune garçon d’écurie ? »
« -Je croyais que tu allais me demander des diamants ou d’autres babioles – ah ! tu es bien la fille que j’aurai voulu avoir ! »
La lendemain la vache et le palefrenier étaient dans l’écurie.
Aucun cadeau ne m’a fait autant plaisir que cette vache ! Va-t-on savoir pourquoi ?
Ce fut l’année de la déclaration de guerre… Tout me semblait si loin …
Pourtant l’impératrice Alexandra et ses filles s’inscrivirent comme infirmière dans l’hôpital de Saint Petersbourg… toutes les dames de la haute société en firent autant… je ne voulais pas être en reste. J’appris avec assiduité à faire les pansements, les piqûres, sans compter les autres soins qui me semblèrent plus faciles…
La révolution grondait dans le pays, je ne comprenais pas le jeu des choses, juste que les soldats blessés erraient dans les champs…
Ton père terminait l’école des cadets, il allait être promu officier cette année… puis partirait
à la guerre.
J’attendais à nouveau un enfant… Georges avait deux ans quand Volodia est né.
Toujours inquiète sur le sort de ton père, je décidais de contribuer à l’effort de guerre, je dirais plutôt à l’effort de paix. J’eu l’idée d’ouvrir un dispensaire qui puisse accueillir et soigner tous les soldats perdus qui traversaient notre région… Il me fallait l’accord de la Douma qui allait siéger dans un mois.
Micha me prévient qu’il ne voterait pas pour mon projet …
« Pourquoi ? « lui demandais-je .
« Parce que tu es mon épouse. »
J’ai engagé un secrétaire, car je n’aurai pas su présenter un projet aussi complexe, avec plan budget etc.…
Un mois plus tard, cachée derrière la porte entre ouverte,, j’écoutais la présentation de mes idées et je comptais les votes…
Toutes les mains se sont levées, sauf celle de mon mari…
Pendant que le dispensaire s’installait, un médecin fut engagé ainsi que deux infirmières.
Moi j’allais y travailler à mi-temps.
Encouragée par mon premier succès, je présentais à la Douma un projet d’orphelinat car il y avait de plus en plus d’enfants errants…
Ton papa était au front, j’étais sans nouvelle de lui, les rumeurs les plus angoissantes s’étaient
propagées … les soldats tuaient les officiers pour rentrer chez eux, la guerre se terminait mais la révolution commençait ! A vrai dire elle avait commencée depuis longtemps mais je ne m’en étais pas aperçue jusqu’à ce qu’elle gagne tout le pays…
Un matin je reçu une lettre officielle m’avisant que mon fils comptait parmi les disparus !…
J’étais dans un état second, je ne voulais pas penser au pire… « Il vit je le sais ! je le sens ! »
J’allais au dispensaire pour m’occuper et ne pas devenir folle de chagrin…
« Voulez vous mettre des gouttes dans les yeux du soldat qui vient d’arriver » me demanda le docteur…
J’allais dans la pharmacie pris un flacon et mis les gouttes dans les yeux du jeune soldat…
Il hurla !… ce n’était pas normal ? je regardais l’étiquette « Mon Dieu je m’étais trompée de flacon ! » Vite vite j’appelai le docteur en lui montrant mon erreur…
« Dans mon bureau ! » pendant qu’il soignait le patient j’étais effondrée sur une chaise
mélangeant la douleur du soldat avec la perte de mon fils !
Le docteur me renvoya à la maison … mais je reviens le lendemain pour soigner ce jeune garçon que j’avais failli rendre aveugle ! Heureusement il allait de mieux en mieux …et pourrait bientôt rentrer chez lui.
Je reçu une lettre d’une cousine qui avait vu mon fils dans un train bondé de blessés qui devait être évacué,… elle ne pouvait me donner de nouvelle de sa santé ni du lieu où il allait être envoyé …Qu’importe il était vivant !
Chapitre IV
1919-1920
La nuit était tombée quand des coups sourds furent frappés à la porte. les domestique effrayés
sont venus nous chercher …Pensant toujours à mon fils je me précipitai vers la porte , j’ouvris et me trouvai devant un homme emmitouflé je ne l’ai pas reconnu tout de suite, c’était le professeur de mathématique de ton papa quand il était encore à l’école à Bobrouïsk…
« Ah c’est vous ? »
« Ne dites rien. Vous avez été bonne avec moi quand j’étais un jeune étudiant, maintenant je peux vous remercier… Demain matin Bobrouïsk sera pris par les rouges et le nom de votre mari est le premier sur la liste des hommes devant être pendus… Ne perdez pas de temps partez tout de suite…et ne dites rien car je risque ma vie en vous prévenant ! »
J’aurai voulu le retenir lui poser des questions, le remercier, mais il s’était fondu dans la nuit…
« Micha , vient vite ! » Je lui expliquai la situation devant les domestiques…
« Nous allons prendre les enfants et partir ! » les femmes de la maison nous ont aidé à nous déguiser en paysans, pendant que Micha prévenait la famille…
« Surtout n’oubliez pas de vous frotter les mains avec de la terre ! » nous prévint la nounou
en habillant les enfants, nous avions pris au hasard les choses qui nous semblaient précieuses sur le moment , empilées dans des baluchons chacun de nous portera cette charge jusqu'au bout de cet exode. Les parents nous donnèrent tout l’argent liquide qu’ils avaient en leur possession…
« Partez vite et que Dieu vous garde ! »
« Dites à mon fils s’il revient, que nous passons chez ma grand ‘mère et ensuite en Pologne
chez nos cousins. » ce furent mes derniers mots …
Nous partîmes à pied en pleine nuit… »
Ma grand’ mère ne pouvait plus parler, ses souvenirs étaient trop forts … Pouvais-je comprendre ? Bien sur que non … j’étais dépositaire de ses mots… Je vibrais à sa vie comme à un conte dont je connaissais les personnages.
Je partis dans ma chambre sur la pointe des pieds la laissant avec ses souvenirs.
Quelques jours plus tard, grand mère était à nouveau devant son raccommodage les lunettes sur le nez…
« Tu peux venir, »me dit-elle….
« Ce fut une longue marche »...
à suivre...
Mer 11 Juil - 7:30