Mon Deuxième grand -père.
Chapitre I
« -Babouchka raconte moi ta vie …. »
« Mais je te l’ai racontée cent fois, ma petite fille, »
Assise dans son fauteuil devant une pile de linge à raccommoder grand’mère écoutait mes babillages…
« - Oh, s’il te plait, raconte-moi… » Ma voix se faisait câline et suppliante…
« Quand j’avais ton âge, je vivais avec mon frère chez ma grand-mère, Maman abandonnée par son mari, avait gardé notre sœur aînée avec elle… J’étais très heureuse chez ma grand-mère que j’aimais plus que tout. »
« Plus que ta maman ?» demandais-je étonnée.
« Oui, bien d’avantage… » Un silence s’en suivit ; Je savais qu’elle attendait de moi un mot,
mais je ne pouvais pas le dire car j’aimais ma maman plus que tout au monde …
Un long soupir… « Tu as de la chance, personne pour t’embêter ! Mon frère me prenait mes jouets, mes livres il dérangeait ma chambre me tirait les cheveux ; bref il était infernal !
Notre mère venait nous voir de temps en temps… Un jour elle décida de m’inscrire
à Saint Petersbourg à l’institut Smolny , c’était un internat pour jeune fille sous la protection de la tzarine.
J’ai quitté mon paradis pour la capitale et les études.
Je me suis retrouvée avec des fillettes de mon âge, bien plus agréables à fréquenter que mon frère … Je devais être présentée au bal de la cour pour mes seize ans… j’aimais beaucoup danser, et moins le calcul, j’ai appris les langues étrangères qui m’ont beaucoup servies mais les autres choses je les ai oubliées avec le temps… »
J’attendais la suite de l’histoire mais plongée dans ses souvenirs elle n’avait plus envie de parler…
Un après midi je me retrouvai à nouveau assise aux pieds de grand’mère et bien sur lui demandai la suite de son histoire…
« Dis moi comment as tu rencontré ton mari ? »
« Oh , c’était drôle ! J ‘étais en vacances chez grand mère quand mon professeur de mathématique se présenta chez nous. J’étais sur qu’il venait se plaindre de mes mauvaises notes en cette matière… Quand on m’appela au salon je m’attendais au pire.je m’avançais rougissante quand grand-mère me dit :
« Nicolas B. vient de te demander en mariage, nous en avons parlé .Mais je te trouve bien trop jeune du haut de tes quinze ans donc, si tu es d’accord Nicolas B. viendra te faire la cour pendant un an et si vous désirez vous marier tous les deux, je vous donnerai ma bénédicton ! »
Ma grand-mère se mit à rire gaiement,
« Si tu savais comme il était drôle avec son petit bouquet de violettes, il s’asseyait à l’autre bout du banc regardait ses pieds n’osant ni me voir ni me parler puis il m’embrassait la main et partait pour revenir au rythme des convenances…
Il était très beau, il avait le double de mon âge et il était tellement sérieux !
Au bout d’un an le jour de mon anniversaire il demanda à nouveau ma main… c’était à moi de parler … que dire ? La curiosité, l’attrait d’une vie nouvelle, la fin des études tout a joué en sa faveur… j’ai dit « Oui ! »
Et voilà à seize ans j’étais mariée….
Une vie nouvelle de fêtes, sorties, spectacles, bals au Palais d’hiver, puis au Palais d’été...
C’est dans cette atmosphère de fête que ton papa arriva dans ce monde ! J’étais trop jeune inconsciente, laissant la nounou s’occuper de mon bébé et mon mari à ses études (il faisait des recherches en mathématique supérieures) …je n’y comprenais rien… et continuais à sortir avec ma sœur aînée avec laquelle je m’étais liée d’une grande amitié…
Au début de notre mariage Nicolas m’accompagnait, il me présenta à la cour et semblait fier et heureux d’être près de moi…
Je ne voyais rien de ce qui se passait autour de moi. J’étais éblouie par le faste de la cour…
Nous avons suivi la cour à Moscou pour le couronnement de Nicolas II .
« Le peuple gronde ! » Le couronnement qui fut une véritable tragédie…
Les festivités populaires étaient organisées dans un vaste espace suffisant, pensait-on, pour accueillir les Moscovites, ainsi que les invités venus d’ailleurs.
Le rassemblement humain excessif a dépassé toutes les prévisions, l’absence de précautions et un service d’ordre insuffisants,
L’estrade s’est effondrée
… Ce fut la catastrophe ! des centaines de morts, des blessés partout autour de nous…Le peuple criait : « qu’il soit maudit avec son allemande ! »
Le couple royal se rendit au bal du comte Montebello ambassadeur de France … pendant que les corps sans vie gisaient dans les fossés…Ce fut une grande erreur.
J’avais de la peine pour l’Impératrice que les russes rejetèrent d’emblée…
Je venais d’accoucher… Mon mari avait eu très peur pour moi… Après il n’est pas sorti, se renfermant de plus en plus dans son travail…
Heureusement j’allais au bal, au spectacle et autres réjouissances avec ma sœur et des amis, je ne voyais rien de ce qui se passait dans le pays. Nous avions notre vie à part et très protégée. »
Chapitre II
Le petit menuisier.
« Tous les ans pour Noël j’organisais une grande fête … Un sapin qui montait jusqu'au plafond. Une montagne de cadeaux et une table garnie de friandises… Les invités étaient nombreux… qui parmi eux a eu l’idée d’offrir à mon fils l’ensemble du parfait menuisier ?
Ton père allait sur ses quatre ans … après avoir essayé de scier les chaises et les armoires
bien trop durs pour ses petites mains – il s’introduisit dans le bureau de Nicolas sur lequel il trouva des dossiers …Le carton et les papiers se plièrent parfaitement aux outils du parfait menuisier… quand tout fut en charpie le petit bonhomme fier mais fatigué alla rejoindre sa nounou…
Tout à coup j’entendis des cris de colère, de fureurs et de désespoir…
« Je vais le tuer…je vais le tuer… » hurlait mon mari.
Sans trop savoir pourquoi j’attrapai mon fils dans les bras et le cachai dans l’arrière cuisine
Dans une barrique… « Surtout pas un mot. » lui ai-je dit…
J’allai rejoindre mon mari qui se déchaînait de plus en plus
« Le travail de toute une vie, te rends-tu compte ? » je me taisais, ne sachant que dire ni que faire … la fureur de mon mari montait, il devenait dément,
« Il faut appeler un docteur » me souffla la gouvernante.
« Oui, bien sur ! allez le chercher vite, vite… »
Nicolas abattu murmurait : « Je devais défendre ma thèse dans deux jours …Mon Dieu ! tout est fini ! »
Nicolas fut hospitalisé au petit matin … mon fils passa la nuit dans la barrique…il s’en souvient encore c’est d’ailleurs le seul souvenir qui lui reste de son père…
Les médecins prescrivirent un séjour dans une clinique au bord de la mer Noire… Ma sœur avait une maison d’été non loin de là …Nous partîmes tous ensemble dans cette propriété.
Pendant plusieurs mois j’allais régulièrement rendre visite à mon mari nous prenions le thé ensemble dans le parc …il comptait sur un petit bout de papier, le nombre de sucres qu’il faudrait pour construire un pont… j’écoutais ébahie …cet homme qui m’avait tant aimée n’était plus là ! À la place un monstre de mathématique !
Jamais il ne demanda à revoir son fils ..Parfois il me confondait avec une infirmière…
Les mois passèrent dans cette ambiance, heureusement ma sœur était là pour le petit…
L’automne arriva avec son lot d’orages…
A l’aube j’entendis des coups à ma porte, c’était le docteur de la clinique,
« Barinia, votre mari a pris une barque pendant l’orage et il s’est perdu en mer…malgré toutes nos recherches nous ne l’avons pas retrouvé »…
J’ai poussé un long cri de douleur…
Ma vie était finie j’avais vingt ans !
Ton grand père est mort à trente quatre ans, il fut englouti par la mer… un cercueil vide …un enterrement…
Il le fallait c’était la coutume et ton père un petit de quatre ans assista à cette messe d’une grande tristesse et aux interminables condoléances auxquelles il ne comprenait rien…
… « Voilà ma petite fille l’histoire de ton grand père Nicolas B.. »
FIN
à suivre