Chapitre III
Irkoutsk
Une terre perdue au milieu de la neige et des glaces… la terre oubliée de Dieu et des hommes….
La nuit recouvrait le paysage pendant six mois de l’année, les autres six mois, le jour se levait à peine… Une isba en bois accueillit nos jeunes mariés .L’hiver, il fallait creuser un tunnel pour pouvoir accéder aux autres habitations …
La mère de Mâcha envoya un wagon à destination d’Irkoutsk ;celui-ci mit huit mois à leur parvenir …Mais quelle joie ! des meubles , un piano, et le petit lit pour l’enfant qui devait naître !
La vie s’organisa dans la nuit et le froid. Georges (mon grand-père) se lia d’amitié avec des détenus politiques. Ma grand-mère, Mâcha , se mit à jouer au piano pour égayer la longue nuit d’hiver…
C’est là qu’est née Véra, ma mère le 20 septembre 1899, suivie d’André et de Natacha à quelques années de distance.
En Russie à cette époque, comme aujourd’hui probablement, les intellectuels étaient rares car souvent arrêtés… Le gouvernement décida d’envoyer mon grand père à Kharbin au poste de directeur de la banque Russo-chinoise … il représentait le gouvernement tout en étant interdit de séjour en Russie ! par contre il pouvait se rendre à l’étranger pour des raisons de services …Quelle ironie ! Mais aussi une façon habile de museler les ennemis du régime tsariste.
Après leur installation à Kharbin, la vie de la famille a totalement changé. Un climat sibérien certes, mais bien plus clément, une grande maison avec un parc et une serre …le premier animal, hôte de la maison fut un perroquet blanc Popotchka . Les facéties du perroquet de la famille furent nombreuses, il adorait le thé et les œufs durs, et savait parfaitement ouvrir la porte de sa cage. A l’heure des repas il venait près de la maîtresse de maison de demandait : « Popotchka veut du thé » et Mâcha lui en donnait dans une petite cuillère . La nuit il faisait des expéditions dans les chambres des enfants et son grand plaisir était de retirer les boutons de leurs guêtres ! Au petit jour on le retrouvait toujours dans sa cage sagement assis sur sa balançoire. Il vécut à la maison jusqu’à la révolution.
Mon grand père était un original : en Sibérie, pendant un mois, le thermomètre peut dépasser les 30° et les moustiques y sont rois …Un jour de grande chaleur, il décida de se raser la tête… le lendemain un article parut dans le journal : « Le prince K. s’est rasé la tête… »; les notables se sont alignés sur lui en se rasant également les cheveux ! à cette époque ce n'était vraiment pas la mode !
Outre son travail de directeur de banque Georges K. menait une activité politique : social-démocrate , il organisait les itinéraires pour les prisonniers politiques cherchant à s’évader du bagne la route de la fuite du bagne. Nombreux furent ceux qui se sont arrêtés à la maison avant de continuer leur chemin…
Il a failli se faire prendre…Un jour, un déporté en fuite a frappé à sa porte…l’homme était blessé et poursuivi par la police montée… mon grand père le fit entrer et le cacha pendant que sa femme nettoyait le sang répandu devant le perron … Quand les policiers frappèrent à coups de crosse, mon grand père leur ouvrit en les apostrophant :
« Comment osez vous vous présenter chez le prince K ? j’exige des excuses ... »
Les policiers regardaient autour d’eux…
« Immédiatement ! …» s’écria mon grand père …sur ce, les policiers partirent…
Ma mère observait la scène de sa fenêtre… elle était fière de son père qui lui semblait tout puissant…
Il y avait une place vacante de directeur de banque à Vladivostok. Mon grand père recommanda son beau-frère qui fut immédiatement reçu et la famille s’agrandit …Mâcha pu aller voir sa sœur et passer les vacances chez elle avec les enfants. Vladivostok n’était pas seulement un port. En face « L’Ile Russe » était le paradis de cet Extrême Orient où la végétation plongeait dans l’eau…Forêts et plages de sables fins… L’endroit rêvé pour oublier la Sibérie, la révolution et la guerre… Les enfants y passaient une partie des vacances , même Popotchka le perroquet était de la fête…
Ma mère se lia d’amitié avec ses cousins …
Mon grand père travaillait avec la banque Franco-chinoise dont le siège social était à Shanghai. Il fit la connaissance d’une famille française qui avait une fille, Aimée, de l’âge de ma mère… Cette famille invita ma Grand-mère et ma mère à Paris pour la première communion d’Aimée … Le voyage par le transsibérien fut féerique … trente jours ! quelle aventure pour une fillette de onze ans…Paris, Biarritz et Arcachon !que de souvenirs à raconter à son retour aux cousins de Vladivostok !
Entre temps mon grand père voyageait en Europe pour affaires. Il parlait parfaitement le français, l’allemand et l’anglais d’où ses voyages d'affaires à Paris, Berlin et Londres .
A Paris il s’arrêtait toujours chez un grand couturier « Coty », choisissait une vendeuse de la taille de sa femme et lui faisait essayer toutes les nouveautés qui lui plaisaient : robes, manteaux etc… remplissant une ou deux malles qu’il faisait envoyer à son épouse…
Il voyait toujours grand… : par exemple il acheta un wagon d’oranges, fruits exotiques par excellence au fin fond de la Sibérie de cette époque et qui sait, aujourd’hui également ?
Les fruits ne se conservant pas il a fallu les distribuer aux employés de la banque !
A chaque voyage en Europe mon grand-père s’arrêtait à Berlin… Pourquoi ?
Il s’était lié d’amitié avec le directeur du zoo de Berlin. Adorant les animaux, chaque séjour à l’étranger était un prétexte pour aller au Zoo rendre visite au directeur …un jour il acheta trois oursons qui venaient de naître.
Quelle fête à la maison ! quand ils furent plus grand il a fallu leur construire un enclos dans le parc. Hélas un jour le médecin décréta qu’il y avait un danger pour les enfants et qu’il serait raisonnable de lâcher les ours dans la forêt… un vrai drame pour les enfants qui pleuraient en suppliant, mais rien n’y fit, et les ours retrouvèrent la liberté…
J’ai hérité de ce grand père mon amour pour les animaux !
Le dernier achat que fit mon grand père fut un crocodile… à la stupéfaction de tous !
Je ne sais pas quel fut le destin de ce dernier …Mais je n’en ai jamais entendu parler par la suite…
à suivre.....
[right]
Dim 8 Juil - 7:51
