LA PREMIERE CIGARETTE
Un silence complet dans le dortoir, j’attends encore un peu avant de poser mes pieds sur le sol. Je me dirige vers la fenêtre fermée…
Quelques bruissements de pas viennent me rejoindre et nous ouvrons la crémone ; pour nous retrouver sur le balcon, étroit juste asses grand pour quatre petites filles maigrichonnes de quatorze à quinze ans.
Fouillant dans nos poches nous sortîmes nos trésors quelques vieux mégots glanés pendant les petites vacances…
« Quelqu’un a-t-il pensé à prendre du papier à rouler la cigarette ?
-Oui ! »
Avec application nous ramassâmes chaque brin de tabac collé sur les paumes de nos mains, la plus habile d’entre nous roulait la cigarette que nous allions fumer ensuite lentement en évoquant nos souvenirs…
Vous pensez peut-être qu’à cet âge les souvenirs sont piètres ! Détrompez-vous…
En 1944 pensionnaires affamées nous évoquions des plats d’avant la guerre… les frites par exemple ? un gâteaux d’anniversaire … chaque bouffée de cigarette nous coupait la faim, en aiguisant nos souvenirs…
« Quand as-tu mangé ta dernière fraise ? »
« Sais pas… »
Quel plaisir ces premières cigarettes qui nous ont fait oublier le froid, la faim, l’injustice et la guerre…
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Pendant que le temps passait, ma vie subissait beaucoup de changements…Papa et Maman séparés depuis toujours (j’avais neuf mois) se sont remis ensemble et m’ont fabriqué une petite sœur…
En attendant sa naissance mes parents avaient décidé de ne pas me prendre à la maison.
Ils avaient toujours peur que je fasse les quatre cent coups. Maman venait me voir tous les mois environ.
Un samedi (jour de sortie) ma mère vient me chercher : « Papa accepte de te voir … » me dit elle.
En arrivant à la maison, mon père me fit un discours épouvantable me disant qu’il passait l’éponge malgré que j’eusse traîné son nom dans la boue des prisons (pour enfants), mais prison tout de même, j’étais écroulée sanglotant à ses pieds, lui demandant : « pardon, pardon, pardon… ». Une tragédie à la Russe…
Après cette scène qui me marqua profondément j’était moins qu’une carpette ! Une serpillière, peut être…le mépris de mon père m’a longtemps poursuivi, heureusement que ma mère n’avait pas l’air de partager ces sentiments…Ce contact avec mes parents réunis pour la première fois, fut très pénible pour moi , mais après tout, je n’avais qu’à partir à la conquête de mon père…peut-être arrivera-t-il à m’aimer un jour ?
Dimanche arriva vite et je repris le chemin de la pension, je m’y sentais bien et j’avais l’impression d’être aimé par tout le monde, sauf par la directrice.
Mes yeux bleus près du rire et non loin de l’insolence, l’ allure souple et fière ne correspondant en rien à mon extrême pauvreté, une seule robe qui devait m’habiller durant toutes les saisons et dont l’ourlet tenait avec des épingles à nourrice, les chaussures de mon père du 42 que je finissais d’user, ma petite culotte qui était composé de guenilles découpé dans des draps en loques et tenant sur les cotés par des épingles à nourrices dont j’ étais une grande consommatrice ainsi que de chiffons plus ou moins blancs qui me servaient de serviettes de toilette, de taie d’oreiller, et de draps pour les plus grands morceaux…L’avantage de ce système était que ni moi ni ma mère n’avions la corvée du linge a laver !
La directrice avait l’habitude de dire : « Quand vous hésitez sur la conduite à tenir faites le contraire de Natacha ! » J’étais devenue sa tête de turc…
Mais peu me chaut – moi le mousquetaire grimpant aux arbres, contant des histoires pour endormir les enfants au dortoir. J’avais découvert une herbe qui donnait un suc sucrée et nous servait de coupe faim, j’étais devenue la confidente de nombreuses amies pour qui j’écrivais des poèmes, elles avaient toujours des amoureux pour lesquels il fallait écrire les plus belles lettres d’amour…
Que de confidences le soir sur le balcon j’ai pu entendre, c’est là que nous avions fumé notre première cigarette, chaque une tirant une bouffée…c’était souverain !
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à suivre...