…LA FUGUE…
Décidément, je ne pourrai pas jouer tranquillement dans ma chambre aujourd’hui ! Pourtant c’était dimanche …
Toutes les cinq minutes : coup de sonnette, comme c’est moi qui suis préposée à l’ouverture de la porte, je me précipite en courant, je tourne la clé, je fais la révérence, comme il se doit et j’annonce au salon :
« Oncle Vania! », « Oncle Micha » ainsi de suite, je sais que j’aurais du dire, leur patronyme et leur nom de famille, mais je ne m’en souvenais pas toujours. Grand-mère fronce les sourcils, mine de rien, je continue après chaque coup de sonnette, d’annoncer le nom des interminables oncles qui défilent aujourd’hui chez nous ! Sans écouter aux portes, j’entendais :
« Les allemands ont envahi la Russie ! » - « quelle sera la position des blancs ? »
Il n’y a plus de blancs, ni de rouges, nous sommes tous russes, donc en guerre contre les allemands !
Je vais réfléchir à la question… J’ai l’impression que tout Paris s’était réuni chez mes grand parents … Grand père était une personnalité que l’on écoutait…à part Grand mère qui ne disait rien, mais n’en faisait qu’à sa tête. Ca je l’avais bien remarqué.
Encore la sonnerie …je me précipite et deux allemands fusils en main me demandent d’entrer, pour la forme, car ils me bousculent et se précipitent directement au salon.
Je me cache derrière la porte pour observer.
Tous les hommes sont arrêtés, embarqués dans des fourgonnettes, Papa me sourit en passant devant ma cachette …
Quand tous furent partis, Grand mère s’écroula en pleurant : «j’ai déjà deux de mes fils qui sont prisonniers de guerre. Maintenant mon mari , et ton père qui a déjà tant souffert en 14-18 , puis la révolution , la guerre fratricide et les geôles soviétiques … oh mon Dieu, mon Dieu ! » et la voilà qui sanglote de plus belle…
J’ai appris par la suite qu’après interrogatoire, une partie des prisonniers de notre salon furent relâchés y compris mon papa, mais Gand –père a été incarcéré dans un camp à Compiègne…
A partir de ce jour, les allemands devinrent mes ennemis personnels.
Je décidai que je n’apprendrai pas la langue allemande pour commencer …
Que je ferai le plus grand chahut possible pendant la classe d’allemand, ce qui me valut un renvoi en bonne et due forme ! Etant devenue impossible, la famille décida de me mettre en pension…
Je serai enfermée, prisonnière de guerre…ça jamais !
Un de mes camarades m’ayant dit qu’il y avait un groupe de résistants qui s’était formé aux environs de Paris et qui se battait contre l’ennemi…c’est là que je voulais aller.
Mon copain décréta que j’étais trop petite et que jamais je ne serai prise par les résistants beaucoup plus âgés que moi ! Qu’en savait-il ?
Je décidais de partir, explorer le vaste monde ! me jeter dans la mêlée faire quelque chose de ma vie…
Je mis dans mon cartable un croûton de pain, ma géographie, un cahier, un crayon…
et le contenu de ma tirelire. J’écrivis un mot : «je suis partie, ne m’attendez pas.
Je vous donnerai de mes nouvelles dès que je pourrai. » …
Que l’air de la liberté était bon le premier jour… Paris était grand, l‘exaltation du début, tomba petit à petit, avec le noir et le froid…
Je passai ma première nuit sous la cage de l’escalier d’un immeuble que je connaissais…ce n’était pas confortable et l’hiver était glacial…j’avais mal choisi la saison d’une fugue !
Dès le lendemain je pris la décision de traverser Paris et de me cacher dans une maisonnette de banlieue que je savais vide en cette saison.
Mes provisions étaient terminées…Je compris que j’avais mal organisé mon départ et qu’il fallait négocier les termes de mon retour …
Dans la banlieue où je m’étais cachée, il y avait une petite église orthodoxe, je décidai d’aller voire le pope qui serait certainement un bon médiateur…
Il le fut en téléphonant à Grand-mère, qui arriva beaucoup trop vite à mon goût !
Elle me prit dans ses bras en pleurant de joie de m’avoir retrouvée, puis me rejeta en hurlant pour la peine que je leur avais faite à tous !
M’embrassant à nouveau … aucune logique !
Mais j’ai eu la chance que sa joie de m’avoir retrouvée, prime sur sa colère ! Il faut dire que le pope a du arrondir les angles !
Nous sommes revenues à la maison, où je fus accueillie comme la petite fille prodigue !
Natacha Péneau
Mar 19 Juin - 7:12
