UNE RÉSISTANTE
La place du marché était désespérément vide ; parfois une ombre se faufilait entre deux portes. Le silence rappelait celui qui précède l’orage.
« Paris est tombé, ils arrivent… »
Les hommes les plus hardis se mouvaient sur le trottoir, en chuchotant les dernières nouvelles, échangeant leurs craintes : « il parait qu’ils prennent les plus jeunes prisonniers ? » « non, ils les fusillent sur place ! »…
Que font-ils des enfants ? me demandais-je ; personne n’en parlait, comme d’habitude les petits bouts d’hommes que nous étions, n’intéressaient âme qui vive…Je ne croyais plus aux contes de fée où les méchants dévorent les petits enfants.
Le murmure s’intensifia, un bruit de char roulait lentement sur la chaussée. Quelqu’un fit une table avec des tréteaux et des planches… « Ici sera le comité d’accueil de la ville de Villejuif ! » ça une ville… misérable banlieue parisienne où l’homme était envieux et misérable, les enfants imitant leurs parents, devenaient méchants, hargneux et brutaux…
La guerre des enfants était axée sur deux petites « ritales » et la russe que j’étais. Nous nous défendions comme des tigresses, grimpant aux arbres pour éviter les jets de pierre, la fuite était notre seul recours. Revenant à la maison en loques, saignant de partout, je me faisais disputer pour ma mauvaise tenue : « Te rends tu comptes que nous sommes des étrangers, hébergés par pitié… sans les français nous étions assassinés dans notre propre pays ! » Cette chanson je la connaissais par cœur, mais je ne me laisserai pas battre par des sales gamins que je méprisais…en ce moment je ne savais pas très bien qui était l’ennemi, et qui était l’ami ?
L’ennemi des français était sans nul doute l’allemand, celui qui avançait sur la route de Villejuif, mais le mien ?
Les français m’avaient repoussée, j’avais beau leur dire que j’étais née à Paris de nationalité française , cela ne les intéressait pas, puisqu’ils pouvaient me rendre les coups reçus de leurs parents, la veille ou le matin même…C’était la montée de la violence contre l’étranger . Je décidais que dorénavant, je serai russe quoiqu’en dise ma grand-mère, qui dans la famille, était l’autorité suprême !
Donc je pris la décision qui influença ma vie entière : j’étais russe. Quant au reste : qui était l’ennemi et qui était l’ami, je le verrai plus tard. Bientôt j‘aurai dix ans et je devrai prendre mes décisions toute seule, car les grandes personnes (y compris) ma grand mère, se trompaient très souvent… leur logique était totalement différente de la mienne, à dire vrai, ils n’en avaient aucune, à mon avis ! Jugez par vous-même ! : ils me répétaient à tout bout de champ, « tu es française, tu as beaucoup de chance d’avoir les mêmes droits qu’eux. ». Je n’avais pas le droit de parler français à la maison et je devais donner l’exemple et montrer ce qu’était une bonne russe ! Vous y voyez l’ombre d’une logique ? Je ne veux pas vous ennuyer avec d’autres exemples, mais ils fourmillent …
Je m’appuyais contre le mur d’une maisonnette pour observer l’arrivée des allemands. Entre temps l’accueil s’était organisé, sur la table aux tréteaux, des bouquets de fleurs étaient déposés, ainsi que des plaques de chocolat. Quelques personnages probablement importants se tenaient raides en rang d’oignon. Les chars continuaient à rouler tranquillement devant eux.
Maintenant, c’était le tour de l’armée de terre qui marchait au pas…Un ordre lancé dans une langue gutturale, les soldats s’arrêtèrent et firent demi-tour face à nous. Les Grands timidement offrirent les fleurs et le chocolat aux soldats. Quelqu’un se trouva là comme par hasard pour traduire, « nous amis, amis » j’étais révoltée, est-ce comme cela que l’on traite un ennemi ?
Certainement pas ! J’en savais quelque chose ! J’observais toujours avec indignation, quand une porte s’ouvrit et apparut une très belle jeune fille, elle regarda autour d’elle, puis cracha dans la direction des soldats allemands…un grand silence se fit… elle attendit encore un peu …personne ne bougeait, elle rentra et referma la porte sur elle.
Ce fut la première résistante que je rencontrais…les larmes de joies me montèrent aux yeux, parmi les Grands tous n’étaient donc pas des pourris. Je m’en retournais chez moi, fière et heureuse devant cet acte de bravoure !
Quand j’aurais trouvé mon ennemi, moi aussi je serai résistante !
Natacha Péneau
Ven 15 Juin - 7:48
