Tu tirais ta vie comme l'aurait fait,
De son rein puissant, de son flanc usé,
Percheron du temps ou vieux Boulonnais,
Baissant le regard au sillon mouillé.
Moi, j'ignorais tout des peines du champ
Que taisent si bien ces hommes de terre
Aux mains fissurées d'hivers saisissants,
Aux coeurs endurcis de pas solitaires.
Tu priais les dieux tel un vagabond,
Ne cherchant plus rien mais croyant toujours
Qu'au-delà des bois et de l'horizon
Ondulaient, au soir, des fées de l'amour.
Je ne savais rien de tous ces mirages,
Et de l'infinie force de la vie
Qui nous meut encore après les outrages,
Alourdis de peur et trempés de pluie.
Tu jouais encore à jeter en l'air
Dépits en fétus et feuilles mourantes,
Rêvassant au creux d'un lit sans rivière
Et riant du ciel aux voûtes pesantes.
Moi, j'avais maudit l'ombre sans promesse
Et qui nous revient comme un coeur trop lent,
Battant d'une même et longue tristesse,
Etirant sa peine au bord du couchant.
Toi, tu cheminais au bout d'une canne,
Au bout du chemin, au fond de la nuit,
Entraînant ta lourde cape diaphane
Et lançant aux morts un dernier défi.
Moi, je suis resté au pied du talus,
Les yeux dans le sang et l'âme aux enfers,
Cherchant à l'Autan ces rêves perdus
Que soufflent parfois les tombeaux amers.
Jérôme