UNE JOURNéE PARTICULIèRE
C’est dur la vie, surtout quand c’est une journée particulière ! J’ai appris à m’en méfier ….Dés mon réveil ma grand mère m’annonce: « Aujourd’hui est une journée exceptionnelle ! » Cela voulait dire en clair : attention toute ta vie va être perturbée, plus de tour de patinette, ni d’amies, ni même de ces jeux tranquilles que j’organise dans ma chambre : collant des coquillages, ou jouant avec la boite à boutons que grand mère me prête parfois et qui est remplie de tant de merveilles, entre le petit bouton de nacre et ce gros en plastique tout noir sorti d’un conte d’horreur et que je mets tout de suite avec les méchants…
Gros soupir…
Pendant que grand mère s’affaire dans ma chambre, ouvre les volets, prépare des vêtements inconnus, oubliés, mais certainement pas sympathiques… « Dépêche-toi ! Aujourd’hui tu dois être parfaite ! »
Le mot est lâché…synonyme de martyre… mais je sais que je dois passer par toutes ses volontés ; si je ne suis pas parfaite, je serai privée de voir ma mère le jour fixé pour sa visite…(papa et maman s’aiment beaucoup mais ne vivent pas ensemble, cela arrive parfois m’a-t-on dit).
Donc je ferai mon possible, mais croyez vous que les grandes personnes sont sensées ?
M’annoncer dès mon réveil une exigence de perfection sans me dire ni pourquoi, ni comment !…
Vraiment, grande mère ne comprend rien aux petites filles de cinq ans et demi…
Je m’habillais en hâte, puis ce fut la bousculade : un petit déjeuné bâclé, et la révision de mes récitations ! j’étais habituée, aux cours d’écriture et de lecture distillés tranquillement sur la table de la cuisine, mais ce n’était sûrement pas l’heure de la récitation !
« Bien, bien » me dit elle , après que j’eus ânonné les deux poésies que j’apprenais déjà depuis un certain temps ! « Maintenant reste sage »… que pouvais-je faire d’autre affublée d’un « sarafane », costume d’une princesse russe au moyen âge ! dont les bretelles jouaient sur mes épaules, en plus je piétinais ma jupe au moindre pas…il faut glisser par terre, m’a-t-on dit, et non marcher! Avez-vous vu une petite fille ne pas marcher ou courir quand un besoin pressant se faisait sentir ?
J’attendis la suite des événements, Papa vient nous chercher avec son taxi… Après avoir roulé longtemps dans les rues de Paris, moi parlant toute seule, personne ne voulant m’écouter, ni même me répondre! c’était frustrant… « Par derrière » dit grand-mère « nous allons directement dans les coulisses »…
Nous traversâmes des couloirs sales ; Grand mère était énervée au dernier degré sans que je sache pourquoi …avais-je failli à la « perfection »?
Et puis tout à coup je fut propulsée en avant sur une scène, me retrouvant éblouie par les lumières, quelqu’un me soufflait d’avancer encore, ce que je fis…Une annonce sortit de nulle part
« Voici Natalia Alexeievna Bournacheva , dans ….de Pouchkine…
Je restai sans voix…
La première strophe me fut soufflée de la salle … je la reconnus, m’en emparai et continuai avec vigueur, prenant mon souffle aux points, faisant une légère pause aux
virgules, respectant le rythme et la rime. J’allais jusqu’au bout de cette interminable poésie que l’on m’avait inculquée depuis des semaines….Les applaudissements fusèrent de tous côtés, me faisant comprendre que c’était fini…Quelqu’un me prit sur ses épaules et je me retrouvais dans la salle, passant de mains en mains la peur au ventre, j’étais si loin du sol!
J’avais le vertige, la nausée et presque les larmes aux yeux !
Où était grand-mère ? Je l’aperçus sur scène, couverte de fleurs, souriant de toutes ses dents, apparemment elle est contente de moi…
… Je verrai Maman Dimanche …
Je fut posée à terre et ravie de retrouver le plancher des vaches ainsi que mes petites amies devant un superbe buffet dressé dans un jardin.
Ce fut une journée particulière…ma première apparition sur une scène de théâtre.
Natacha Péneau