Les Volcans de Larmes
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L'essentiel de la douleur humaine
 
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 Solstice d'été

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2 participants
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Lilas




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MessageSujet: Solstice d'été   Solstice d'été Icon_minitimeVen 12 Juil - 1:19

Angelina remue dans son fauteuil. C'est une petite bonne-femme, haute comme trois pommes, toute sèche et ridée Ses cheveux blancs,  aussi épais que dans sa jeunesse, sont roulés en vague chignon sur sa nuque frêle. Les volets clos et la chaleur de ce mois de juin l'ont plongée dans une torpeur lourde, dont elle sort l'esprit embrumé. Ses articulations  douloureuses lui tirent une grimace. Elle se sent si vieille... Vieille d'années écoulées, mais aussi de sensations de manque, de choses jamais dites qui pèsent sur son cœur et son esprit. Les larmes la submergent, et avec, cette douleur au creux du ventre qu'elle connaît bien, toujours aussi vivace, malgré les années...Cinquante ans, qui n'ont rien atténué...Elle se souvient très précisément, de cet après-midi du mois de Juin. Maxime, le jeune facteur, était passé à la pizzeria où elle était serveuse. Elle l'avait vu rentrer, sa sacoche sur l'épaule, portant beau, l’œil rieur, et son cœur s'était mis à battre la chamade. Angelina aimait Maxime. Elle avait été séduite au premier regard de ses yeux, aussi bleus que les siens étaient noirs. Mais il ne semblait jamais s'apercevoir de sa présence. Il l'a gratifiait toujours d'un sourire distrait, un peu comme si son regard ne faisait que la traverser. Elle se sentait transparente, bien qu'elle lui fit les yeux doux. Mais elle avait une idée précise de ce qui préoccupait l'esprit de Maxime. On disait, dans le village, qu'il était amoureux fou de Madame la Comtesse. C'est vrai qu'elle était belle femme. Grande, fine, gracieuse,  chacun de ses mouvements évoquait une ballerine. A cela, il fallait ajouter une opulente chevelure blonde, ainsi qu'un teint de pêche, et une élégance rare dans la région, Madame la Comtesse faisant ses emplettes à Paris. Angelina la détestait et l'enviait tout à la fois. Elle avait tout pour elle, cette femme!...La beauté, l'argent... Elle avait en effet hérité de la plus grosse entreprise de la région, une fabrique de meubles prospère, dans cette époque reine des meubles en bois exotiques. Elle habitait le château, que ses ancêtres avaient bâti des siècles auparavant. Angelina lui enviait jusqu'à son prénom, Aurore, qu'elle jugeait très élégant. Mais elle ne s'avouait pas battue. Elle avait décidé de parler à Maxime. Et ce serait aujourd'hui, foi d'italienne!... Aussi, lorsqu'il repris sa bicyclette pour continuer sa tournée, Angelina jeta son tablier sur une table du restaurant et couru chercher sa propre bicyclette pour le suivre. Mais il était plus sportif qu'elle, aussi le vit-elle disparaître au détour d'un virage. Elle connaissait par cœur son itinéraire, elle ne se soucia donc pas de le laisser prendre de la distance. Entre les deux villages qu'il desservait, il ferait un arrêt à la déchetterie, puis il passerait à l'usine de meubles, pour finir par le château. Elle voulait lui parler avant qu'il y arrive, avant qu'il voie  Aurore...Tout en pédalant, elle se repassait mentalement ce qu'elle voulait lui dire, son amour pour lui, si grand, si fort qu'il avait envahit toute sa vie, mais elle s'embrouillait et répétait presque toujours les mêmes phrases, un peu comme un mantra, pour se rassurer sans doute. Maxime était toujours devant elle. Ses deux premiers arrêts effectués, il se dirigeait maintenant vers le château. Elle réalisa qu'il allait maintenant beaucoup plus vite, comme poussé par une invisible main.La bâtisse se dressait au fond d'un parc touffu, bordé d'aubépine, dont  un portail immense défendait l'entrée. Le millepertuis en fleur piquetait l'herbe de taches jaunes. Elle tenta d’accélérer, avec la sensation pénible d'avancer sur de la glu. Elle le vit arriver au portail, pousser largement la porte de la grille et...Et un éclat de lumière aveugla soudain Angelina. Elle dû s'arrêter, fermer les yeux brièvement, et quand elle les rouvrit, Maxime avait disparu. Elle couru jusqu'à la grille, mais ne vit rien d'autre que le vélo de Maxime qui gisait à l'entrée du parc, une roue cliquetant encore. Alors, elle resta là, hébétée, pressentant le pire, tout en désirant ardemment se tromper. Rien ne serait pire pour elle, que de ne plus revoir Maxime, rien! Elle se précipita vers le château, trouva porte ouverte, parcouru le dédale de couloirs et de chambres en criant son nom. Elle ne trouva personne, le château était vide... Angelina se souvient encore de cette course interminable, de cette angoisse grandissante. Ce dont elle ne se rappelle plus, ce sont les mains qui ont détaché un à un ses doigts, cramponnés à la grille, sous une pluie battante qui collait ses cheveux à son crâne, lui donnant l'air d'une noyée. Ces bras qui l'ont portée à l'abri, réchauffée, réconfortée. Un gouffre noir et vertigineux  occupe cette place dans son esprit. Et cinquante ans plus tard, rien n'a changé. La souffrance causée par cette disparition inexpliquée  a rongé sa vie comme une maladie sournoise et rampante. Tout ce qu'elle a vécu depuis reste emprunt de mélancolie. Elle pousse un soupir, puis replonge dans un sommeil agité.



                                    Antonin referme la porte du salon avec précaution, pour ne pas réveiller Angelina. Voici cinquante ans ou presque qu'ils sont mariés. C'est un homme bien charpenté, aux yeux bleus de porcelaine, et des rides de rires au coin des yeux. Il lui voue un culte passionné. Mais il n'est pas dupe,  il sait depuis longtemps qu'elle n'est pas tout à fait à lui. Il le sait depuis le premier jour, quand ils se sont rencontrés sous une pluie battante. Elle s'accrochait à la grille du château, presque folle, balbutiant des mots sans suite, choquée. A côté d'elle, le vélo du facteur gisait comme une épave abandonnée, au milieu des enveloppes détrempées qui s'étaient échappées de la sacoche de courrier. Antonin, à cette époque, était un fringant jeune homme, qui exerçait le métier de policier. On l'avait appelé, à la découverte de ce qui semblait être une disparition suspecte. Il avait constaté les faits, et ce faisant, était tombé amoureux du principal témoin, Angelina. Il avait suivi, d'après sa déposition, le trajet du facteur. D'abord, la pizzeria: il avait pensé à une histoire mafieuse, mais elle était tenue par un auvergnat près de ses sous, qui n'avait rien vu, sinon sa serveuse s'enfuir à vélo, comme si elle avait le diable aux trousses. Ensuite, à la déchetterie, Maxime s'était arrêté très brièvement, très pressé, semble-t-il, témoigna l'employé. Là non plus, rien d'étrange, finalement. A la fabrique de meubles, la réceptionniste confirma l'avoir reçu. Il lui avait demandé si Madame la Comtesse était là, et devant sa réponse négative, il était reparti aussitôt. Sa trace s'évanouissait devant le château, juste après les grilles, au milieu de l'aubépine et du millepertuis, là où on avait retrouvé son vélo et Angelina. Mais le plus surprenant, c'était que Madame la Comtesse avait elle aussi disparue. On l'avait recherchée partout, mais tout comme Maxime, elle s'était volatilisée. L'enquête s'était enlisée, le temps passant. Aucune conclusion n'avait été tirée, et l'affaire, jusqu'à ce jour demeurait un mystère. Antonin  avait fait une cour discrète à Angelina, pour l'apprivoiser, comme un oiseau blessé. Elle avait fini par consentir à l'épouser, mais il savait que, pour elle, ce n'était pas la passion. Une vie assez douce s'était installée entre eux, ils avaient eu des enfants. Mais, Malgré les années, elle n'avait jamais oublié Maxime, dont le fantôme continuait à planer sur leur vie.

                                 


Ce jour-là, quand il arrive à la pizzeria, Maxime sourit intérieurement. Angelina est là, derrière le comptoir, magnifique, comme à son habitude, débordante de vitalité. Il n'a jamais osé le lui dire, mais il éprouve pour elle de tendres sentiments. Oh, il sait bien qu'on lui prête une aventure avec Madame la Comtesse, mais lui, il s'en fiche, de Madame la Comtesse...Il a bien vu qu'elle le regarde de façon étrange, quand il va lui porter son courrier. Et les langues vont bon train, depuis qu'un jour il l'a empêchée de trébucher devant la poste. Il l'a retenue par la taille et ils se sont trouvés très près l'un de l'autre, les yeux dans les yeux. Il n'en n'a ressenti aucun plaisir, bien au contraire. Un frisson a parcouru son échine, le glaçant. Il l'a donc vite lâchée, avec une sorte de répulsion.  Il n'a pas vraiment compris sa propre réaction, mais, depuis, il ne peut s'empêcher de ressentir de l'angoisse quand il l'a croise. Et quand les bonnes gens chuchotent derrière son dos, il a envie de leur expliquer, lui, ce qu'il ressent et pour qui, mais ce serait tout à fait vain: contre une rumeur, on ne peut pas grand-chose, surtout dans les deux petits villages qu'il desserre...Mais tout cela ne le préoccupe pas vraiment. Ce qu'il veut, c'est épouser Angelina. Il projette de lui demander sa main aujourd'hui, après la distribution du courrier. Il sourit, car il sait pertinemment qu'elle le suit parfois. Mais il fait semblant de ne pas la voir. Il aime penser qu'elle l'accompagne, comme il voudrait qu'elle l'accompagne dans la vie. Elle est son âme sœur, il le sent. Il lui tend le courrier, puis tourne les talons et s'en va. Il jubile quand il l'a voit, du coin de l’œil, sauter sur son vélo pour le suivre. Il n'aura pas loin à aller pour faire sa demande. Il se hâte vers la déchetterie. Il n'y reste pas bien longtemps, il déteste cet endroit nauséabond. La prochaine étape, la fabrique de meubles, il n'apprécie pas plus de s'y arrêter, car il craint de rencontrer Madame la Comtesse. Mais tout se passe au mieux, car elle n'y est pas. Après un rapide salut à la réceptionniste, il file.  Maxime a le cœur content, il ne reste plus que le château. Ensuite...Alors il accélère, Angelina sur ses talons, il le vérifie de temps à autres. Elle le suit toujours même si elle est un peu loin, cette fois. Il l'attendra après le château et, ensuite, il se jettera à l'eau. Il arrive devant les grilles et met pied à terre, pousse les grilles et pénètre dans le parc. Il n'a pas fait trois pas dans l'herbe, parsemée de millepertuis, qu'il s'arrête, interdit. Madame la Comtesse se dresse devant lui. Mais elle n'a pas son allure habituelle. Elle porte une longue robe couleur azur et ses cheveux ondulent dans son dos. Ses yeux sont étrangement brillants. Elle semble flotter dans une sorte de brume. Et quand elle se met à lui parler, sa voix est étrangement distante:
-Je t'attendais Maxime, dit-elle, et depuis longtemps...
-Pourquoi? lui répondit-il Suis-je en retard?
-Non, j'attendais que tu marches sur le millepertuis! Tu es à moi, maintenant.            
Aujourd'hui, 21 Juin, c'est la fête de Litha, le solstice d'été. Et tout homme qui piétine
le millepertuis involontairement le jour de Litha peut être emmener au pays des fées.
C'est ce que je vais faire!
Maxime n'eut que le temps de jeter un regard implorant à Angelina avant de se sentir emporté par une bourrasque étrange, accompagné du rire flûté d'Aurore. Il entendit, comme à travers de l'eau, la voix d'Angelina l'appeler désespérément, puis plus rien qui vint de la terre. Seul son cœur se rappelle encore Angelina et son amour pour elle.
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Rodes (nurtapa)
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MessageSujet: Re: Solstice d'été   Solstice d'été Icon_minitimeVen 12 Juil - 4:20

Aussi, lorsqu'il repris sa bicyclette pour continuer sa tournée, Angelina jeta son tablier sur une table du restaurant et couru

dans les deux petits villages qu'il desserre..

Quelques fautes de temps. Je crois que ce texte eût mérité un peu plus de concision car je m'y suis un peu égaré , du fait de ses méandres redondants. Cependant l'idée reste plaisante et fort mystérieuse.
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Solstice d'été
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