Leyah dérivait doucement au-dessus d'un champs de pierres rouges. On eut dit un champ de coquelicots, mais il y avait longtemps qu'ils n'existaient plus. Et ici, ils n'avaient d'ailleurs jamais existé. Ils n'étaient plus qu'une image sur l'écran plasmique de sa bibliothèque numérique, une image qu'elle aimait contempler pour ses teintes vives. Sa vie manquait tant de relief, qu'il fallait au moins cette explosion de couleurs pour lui procurer des émotions. Le vent la poussait lentement vers les montagnes jaunes et désertiques qui barraient l'horizon et contrastaient violemment avec le ciel violet. Ces montagnes, ironiquement appelées "Montagnes du Renouveau", constituaient les limites de son domaine. Au-delà s'étendaient les Terres de Solitude, uniquement dédiées aux fêtes de printemps. C'était un endroit propice au recueillement, à la Communion, plat, gris et caillouteux. Rien qui puisse distraire l'esprit.
Elle se mit à songer au temps de l'exode. Son aïeule le lui avait raconté, à l'époque où on pouvait encore se parler. La Planète-Mère était ravagée par les guerres et les famines. La surpopulation croissait de manière exponentielle, provoquant des batailles sans issue pour la conquête de territoires susceptibles de produire de la nourriture. C'était un massacre permanent où toutes les valeurs humaines avaient perdu leur raison d'être. La déraison et l'égoïsme généralisés, l'individualisme forcené prirent le dessus. Les dirigeants songeaient uniquement à leur profit personnel au détriment des autres humains et de la Planète. Le réchauffement climatique, du à une pollution galopante , déclenchaient tant de catastrophes naturelles que le nombres des victimes devenait exorbitant. Les terriens courraient de plus en plus vite vers leur déclin. Jusqu'à l'ultime...
Un jour, un dictateur un peu plus fou que les autres avait utilisé l'arme nucléaire, causant des dommages irréparables à la Terre. Plus de nourriture, plus d'eau potable, plus rien, juste la désolation.
Un groupe de scientifiques mit au point un portail de téléportation, mais ce serait un voyage sans retour et pour peu d'hommes, juste de quoi essaimer plus loin, l'énergie requise étant trop importante. Le choix des élus fut dramatique. Après bien des débats, il fut choisit trente personnes. Ils partirent sans se retourner pour la planète Mars.
Les premiers temps furent difficiles, l'adaptation étant compliquée à cause d'une atmosphère ténue et incompatible avec la vie humaine. Il y eut quelques victimes, mais finalement quelques dômes furent construits où le groupe pu enfin connaître un peu de répit. En ce temps-là, on pouvait se toucher, se parler. Il paraît même qu'on pouvait faire des enfants. Il y eut des naissances. Leyah ne parvenait même pas à l'imaginer, n'ayant pas connu cette époque. Mais elle avait vu des hologrammes, elle avait donc une vague idée de ce que cela pouvait être. Quelques fois, elle regrettait, puis elle pensait au but final, et tout doute s'apaisait.
En effet, il s'était développé sur la Planète un mouvement écologique très fort. Les colons ne voulaient en aucun cas reproduire les erreurs du passé. Aussi prirent-ils la voie du Grand Esprit. Cela tendait à faire disparaître les corps au profit de l'esprit afin d'être le plus adapté possible à la Planète. Les recherches prirent des décennies. Ils modifièrent génétiquement les organismes et pratiquèrent la méditation à haute dose. C'est ainsi qu'ils se transformèrent peu à peu en bulle plasmatiques.
Leyah en était une, mais son patrimoine génétique contenait encore le xx féminin. Elle savait aussi qu'elle ne pourrait se reproduire. C'était interdit. Il ne fallait pas encombrer la Planète. Pourtant, elle en rêvait parfois, quand elle pensait à Siméon. Elle se sentait bien avec lui et adorait quand ils joignaient leurs tentacules pour communiquer. Elle ne savait pas si c'était de l'amour, cette notion étant désormais seulement attachée à la Planète. Mais son plasma frémissait parfois à son évocation.
Leyah tourna son regard vers le ciel violet. Là, parmi les étoiles qui brillaient, lointaines, mais merveilleuses comme des gemmes, se dessinait un espace vide: c'était l'emplacement de la Terre. Elle avait disparu.
Elle soupira intérieurement. Demain, ce serait la dernière Fête de Printemps dans les Terres de solitude. Demain, elle et tous les habitants de Mars ne feraient plus qu'un avec la Planète. Ils entreraient tous en Communion et deviendraient la Planète, dans un dernier geste d'Amour.
08/03/2013 18:52:59