Vous voyez cette lampe, posée sur le bahut de la salle à manger ? Elle raconte une histoire, écoutez-la.
C’est une lampe à pétrole. Son pied de laiton doré est terni par le temps, et dans son verre rose ciselé, flotte encore une mèche.
Elle me ramène à mon enfance, lorsque j’avais huit ou neuf ans. Nous habitions alors la maison que mes parents avaient bâtie, éloignée du village d’un bon kilomètre, trajet que je faisais tous les jours à pieds, quelque soit le temps, le long de la nationale. Les voitures et les camions y roulaient vite, me frôlaient presque au passage. Il n’y avait pas de limitation de vitesse en ce temps-là. Et pas de trottoir non plus! il me fallait donc soigneusement regarder où je mettais les pieds, sur le bas-côté.
La maison était isolée, en lisière de forêt. Elle n’était pas terminée. Mon père, un homme de principe, avait toujours refusé de faire un emprunt pour la finir. Il pensait et professait qu’on ne devait jamais avoir de dettes envers quiconque, pas même une banque. Il était ouvrier et gagnait peu d’argent. Tout était fait au fur et à mesure des économies qu’il pouvait difficilement réaliser, et donc, très lentement. Aussi, les plots étaient-ils encore apparents, les chapes brutes et la cave en terre battue. Et surtout, imaginez-vous, il n’y avait pas l’eau courante ni l’électricité. Ce qui nous semble si banale aujourd’hui, je ne l’avais pas à l’époque. Je n’en n’étais pas malheureuse. Sans doute est-ce que je ne me rendais pas compte de ce manque, puisque j’avais toujours vécu comme cela.
C’est là qu’entre en scène la fameuse lampe à pétrole. Elle en a éclairé, des soirées ! Je faisais mes devoirs sous sa douce lumière. Et plus tard dans la soirée, nous étions tous réunis autour, ma grand-mère, mes parents, mon frère et moi et nous discutions de la journée passée, tout en croquant quelques noisettes cueillies à l’automne. C’étaient de si bons moments…
Ma mère était tout de même très contrariée par cette situation. Elle avait une sœur jumelle qui bénéficiait, elle, de tout le confort moderne. Elle ne se privait d’ailleurs pas de le faire remarquer à ma mère qui bouillait intérieurement. Elle aussi, un jour, elle aurait la machine à laver, la télévision, un réfrigérateur... Elle en rêvait et me confiait tous ses projets, des étoiles dans les yeux. Nous étions si proches…
Cette situation a duré quelques années, le temps de pouvoir acheter les poteaux électriques. Pour moi, enfant, la vie était belle. Mes parents m’aimaient, mon frère était mon compagnon de jeux et nous avions toute la forêt pour nous amuser. C’était une vie de sauvageonne, insouciante. J’étais loin de la citée- dortoir où j’allais à l’école.
Ce jour-là, je revenais à pied de l’école, comme à l’habitude. C’était le dernier jour, la veille des vacances de Noel. Je marchais, les yeux fixés sur le sol sur le bas-côté de la route, pour ne pas trébucher dans l’obscurité. Les voitures, surgissaient dans mon dos comme des monstres vrombissants, me glaçant à chaque passage. J’avançais, obstinée, pressée de regagner la chaleur de ma maison, et de retrouver ma famille.
A un moment, j’ai relevé la tête. Et j’ai vu...
J’ai vu la maison comme je ne l’avais jamais vu auparavant. Elle était illuminée, par toutes les fenêtres. On aurait dit un paquebot dans la nuit. Elle me disait : « Rentre vite, je t’attends ». Je me souviens encore de mon cœur bondissant dans ma poitrine, comme s’il voulait en sortir. Enfin !... Ma maman allait pouvoir réaliser ce qu’elle avait toujours voulu. Je me suis mise à courir, malgré l'obscurité et les ornières.
Lorsque je suis arrivé, Maman m’a sauté au cou, toute à sa joie, comme une enfant ayant reçu le plus beau des cadeaux de Noel. Elle avait allumé toute les pièces.C'était extraordinaire, c'était la fête. J’ai partagé son bonheur, la vie allait être plus facile. Quel beau cadeau de Noel, l'électricité!...J'étais facinée.La lumière innondait toutes les pièces, comme jamais. Plus besoin de lampe à pétrole, désormais !
Mais moi, voyez-vous, je l’ai gardé, cette lampe à pétrole.
Ma mère n’est plus là, maintenant. Mais quand je vois la lampe, c’est comme si Maman me sautait encore une fois au cou pour m’embrasser, avec toute sa joie et sa tendresse. C’est comme un cadeau de Noel tous les jours, grâce à elle, et un morceau d'enfance qui vient réjouir mon coeur.