Je suis une chaussure. Oui, mais pas une chaussure ordinaire. Pas une de ces chaussures avachies, plates, à bout de souffle, non. Ni de ces escarpins bon marché fabriqués sans âme, ni amour dans des usines impersonnelles et immenses par des mains exploitées.
Je suis une chaussure de luxe, il faut bien l’avouer. Un de ces escarpins au talon vertigineux. Et je suis rouge, d’un rouge ardent, j’attire l’œil inexorablement. Je suis faite du cuir le plus fin, et le cordonnier qui m’a fabriquée, l’a fait avec amour de ses mains habiles Il a fait de moi un objet parfait. Au cas où vous vous poseriez la question, nous sommes deux, évidement. Mais mon double inversé est bien moins sensible que moi, et son esprit bien moins développé. C’est pourquoi je suis le porte-parole de notre paire.
Je fus commandé par un homme d’âge respectable et fort bien mis, prénommé Jean. Son regard bleu s’alluma de mille étincelles, lorsqu'il nous vit, et un demi-sourire éclaira son visage. Il imaginait déjà sa belle ainsi chaussée. Il nous emporta vers notre destin.
La jeune femme à qui nous étions destinés s’appelait Vanda. Un teint resplendissant et des cheveux aux reflets cuivrés étaient ce qu’on remarquait de prime abord. Puis les yeux verts pailletés d’or, la bouche gourmande, les formes exquises, un hymne à la beauté, en somme, s’offrait aux regards.
Ils s’étaient rencontrés dans une de ces soirées où l’on s’ennuie un verre à la main, la tête ailleurs. Lorsqu’il l’avait aperçue, il avait retenu son souffle, comme s’il voulait cristalliser cette minute à jamais, celle du premier regard. Elle lui avait souri, charmeuse. Ils s’étaient compris sans rien se dire et étaient repartis ensembles.
Une relation, sans passion, mais agréable pour elle, s’était établi. Lui s’y était plongé plus profondément, lui vouant une ferveur qu’il n’avait jamais éprouvé jusque là, partageant ses jours avec de successives compagnes, qui ne restaient jamais longtemps, sentant qu’il ne s’investissait pas vraiment.
Il vouait une admiration sans borne à sa beauté, aussi l’ornait-il de mille manières. Rien n’était trop beau, bijoux, vêtements, parfums qu’elle avait fini par accepter distraitement. Puis il avait vu des escarpins semblables à moi, et n’avait eu de cesse de lui offrir les mêmes. Ce qui venait d’être fait, ce soir-là.
Elle, qui ne regardait plus ce qu’il lui donnait, tant l’abondance nuit à la surprise, tomba sous notre charme. Elle poussa un petit cri et se jeta à son cou, puis nous essaya, glissant son joli pied gainé de soie dans l’écrin idéal que j’étais. Nous lui allions à ravir, lui faisant le pied sensuel et la jambe parfaite. Lui, la regardait, savourant l’instant et la vue de celle qu’il aimait, enfin animée par l’enthousiasme devant l’offrande.
Elle, pour sa part, songeait à toute autre chose…
A suivre..